Yuko Akita avait deux passions.
Le haïku.
Et la neige.
Un poème, c'est une eau qui s'écoule.
Comme cette rivière.
Sur le parchemin de soie, il n'écrivit
qu'un seul mot, un mot
d'une blancheur éclatante.
Yuko avait dix-sept ans lorsqu'il avait
embrassé la carrière de poète.
Il avait promis à son père d'écrire
seulement soixante-dix-sept haïku par hiver.
Perdu dans une tempête de neige,
Yuko survécut en découvrant sous
la glace le corps d’une femme blonde,
morte et magnifique une vision
inoubliable venue de l’autre côté du réel.
Au petit matin,
Yuko planta une croix à l'endroit précis
où il avait fait sa macabre découverte.
Puis il reprit son chemin.
Yuko traversa le Japon pour rencontrer
le maître Soseki. Accueilli avec bienveillance,
il entra dans une maison paisible,
s’assit face à face à un jardin luxuriant,
et but un thé près d’une rivière.
Yuko rencontra enfin Soseki, un maître aveugle
au sourire paisible. D’abord surpris qu’un homme
privé de vue puisse enseigner la couleur, Yuko exprima
son désir d’apprendre. Soseki lui répondit simplement :
« Apprends-moi d’abord la neige. »
Yuko fut accepté auprès du maître pour un an
et se lia d’amitié avec Horoshi, le serviteur.
Ce dernier lui confia que Soseki, maître de tous les arts,
devait son génie à un amour passé — un amour
si profond qu’il faillit le perdre, avant que l’art ne le sauve.
Et c’est ainsi que Horoshi commença à raconter
l’histoire de Soseki, ancien samouraï.
De retour d’un champ de bataille, Soseki,
le samouraï, porte dans la chair une blessure…
et dans l’âme, une fatigue plus profonde encore.
Il marche seul, laissant derrière lui l’éclat du sabre.
Surplombant une rivière d'argent,
une funambule traverse le ciel. Elle s’appelle Neige.
Elle ne marche pas, elle flotte. Et dans ce flocon
d’or suspendu, Soseki croit voir un miracle.
Il dépose son sabre à ses pieds et offre son cœur.
Ils partagent une fille, du thé, des silences.
Mais le fil intérieur de Neige vibre d’un manque :
celui du vide, de la hauteur, du vertige.
Dans le vent d’été, elle devient point blanc
dans le ciel. Puis le fil cède. Elle tombe, oiseau
sans retour, avalée par la montagne.
Le vieil homme se retrouva seul face à la toile.
Il épuisa ses yeux à contempler l'image
de sa femme disparue. Et un jour, à force
de travail incessant, il devint aveugle.
C'est précisément ce jour-là que Soseki,
dans la profondeur de sa cécité, peignit le plus
blanc et le plus beau de tous ses portraits.
Le lendemain, près de la rivière argentée,
Soseki demanda à Yuko de fermer
les yeux et d'imaginer la blancheur.
Yuko voit une femme sous la glace.
Une funambule nommée Neige.
Yuko remercia le maître de lui enseigner
l'art d'une façon si subtile, si belle.
oseki se contenta de sourire. Puis il dit :
- Nous partirons demain retrouver Neige.
Elle était là, figée sous la glace, belle et fragile
comme un rêve. Son costume de funambule,
presque invisible, épousait sa peau diaphane.
Soseki, guidé par Yuko, toucha sa joue.
Alors, le vieux maître s'effondra, en larmes,
face à l’amour retrouvé et figé dans l’éternité.
Aux premiers jours du printemps,
l'écriture de Yuko changea.
Une jeune femme arrive chez le père de Yuko.
Dans l’atelier, Yuko, troublé par sa beauté,
laisse sa plume tracer une ligne tremblante.
Une funambule sur un fil.
Sans un mot, elle pose la main sur son épaule :
« C’est le plus beau portrait de ma mère. »
Ils se reconnaissent, s’unissent, et s’aiment,
suspendus sur un fil… de neige.